Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/355

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
355
L’ŒUVRE.

jolis, la femme nue détonne comme un pétard, pas même d’aplomb, les jambes mauvaises… Ah ! c’était à en crever du coup, j’ai senti que la vie se décrochait dans ma carcasse… Puis, les ténèbres ont coulé encore, encore : un vertige, un engouffrement, la terre roulée au néant du vide, la fin du monde ! Je n’ai plus vu bientôt que son ventre, décroissant comme une lune malade. Et tiens ! tiens ! à cette heure, il n’y a plus rien d’elle, plus une lueur, elle est morte, toute noire !

En effet, le tableau, à son tour, avait complètement disparu. Mais le peintre s’était levé, on l’entendit jurer dans la nuit épaisse.

— Nom de Dieu, ça ne fait rien… Je vais m’y remettre…

Christine, qui, elle aussi, avait quitté sa chaise, et contre laquelle il se heurtait, l’interrompit.

— Prends garde, j’allume la lampe.

Elle l’alluma, elle reparut très pâle, jetant vers le tableau un regard de crainte et de haine. Eh quoi ! il ne partait pas, l’abomination recommençait !

— Je vais m’y remettre, répéta Claude, et il me tuera, et il tuera ma femme, mon enfant, toute la baraque, mais ce sera un chef-d’œuvre, nom de Dieu !

Christine alla se rasseoir, on revint près de Jacques, qui s’était découvert, une fois encore, du tâtonnement égaré de ses petites mains. Il soufflait toujours, inerte, la tête enfoncée dans l’oreiller, pareille à un poids dont le lit craquait. En partant, Sandoz dit ses craintes. La mère semblait hébétée, le père retournait déjà devant sa toile, l’œuvre à créer, dont l’illusion passionnée combattait en lui la réalité douloureuse de son enfant, cette chair vivante de sa chair.