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LES ROUGON-MACQUART.

— Ah ! oui, Dieu merci ! Ce que j’ai eu de monde ! Un vrai défilé qui m’a tenu huit jours sur les jambes, du matin au soir… Je ne voulais pas exposer, ça déconsidère. Naudet, lui aussi, s’y opposait. Mais, que veux-tu ? on m’a tant sollicité, tous les jeunes gens désirent me mettre du jury, pour que je les défende… Oh ! mon tableau est bien simple, Un déjeuner, comme j’ai nommé ça, deux messieurs et trois dames sous des arbres, les invités d’un château qui ont emporté une collation et qui la mangent dans une clairière… Tu verras, c’est assez original. 

Sa voix hésitait, et quand il rencontra les yeux de Claude qui le regardait fixement, il acheva de se troubler, il plaisanta la petite toile, posée sur le chevalet.

— Ça, c’est une cochonnerie que Naudet m’a demandée. Va, je n’ignore pas ce qui me manque, un peu de ce que tu as de trop, mon vieux… Moi, tu sais, je t’aime toujours, je t’ai encore défendu hier chez des peintres. 

Il lui tapait sur les épaules, il avait senti le mépris secret de son ancien maître, et il voulait le reprendre, par ses caresses d’autrefois, des câlineries de gueuse disant : « Je suis une gueuse », pour qu’on l’aime. Ce fut très sincèrement, dans une sorte de déférence inquiète, qu’il lui promit encore de s’employer de tout son pouvoir à la réception de son tableau.

Mais du monde arrivait, plus de quinze personnes entrèrent et sortirent en moins d’une heure : des pères qui amenaient de jeunes élèves, des exposants qui venaient se recommander, des camarades qui avaient à échanger des influences, jusqu’à des femmes qui mettaient leur talent sous la protection de