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LES ROUGON-MACQUART.

voulant que la victoire lui restât, se décida, l’air superbe, en gaillard très fort qui ne craignait pas d’être compromis.

— C’est bon, je le prends pour ma charité.

On cria bravo, on lui fit une ovation railleuse, de grands saluts, des poignées de main. Honneur au brave qui avait le courage de son opinion ! Et un gardien emporta entre ses bras la pauvre toile huée, cahotée, souillée ; et ce fut de la sorte qu’un tableau du peintre de Plein air se trouva enfin reçu par le jury.

Dès le lendemain matin, un billet de Fagerolles apprit à Claude, en deux lignes, qu’il avait réussi à faire passer l’Enfant mort, mais que cela n’avait pas été sans peine. Claude, malgré la joie de la nouvelle, éprouva un serrement de cœur : cette brièveté, quelque chose de bienveillant, de pitoyable, toute l’humiliation de l’aventure sortait de chaque mot. Un instant, il fut malheureux de cette victoire, à un point tel, qu’il aurait voulu reprendre son œuvre et la cacher. Puis, cette délicatesse s’émoussa, il retomba aux défaillances de sa fierté d’artiste, tant sa misère humaine saignait de la longue attente du succès. Ah ! être vu, arriver quand même ! Il en était aux capitulations dernières, il se remit à souhaiter l’ouverture du Salon, avec l’impatience fébrile d’un débutant, vivant dans une illusion qui lui montrait une foule, un flot de têtes moutonnant et acclamant sa toile.

Peu à peu, Paris avait décrété à la mode le jour du vernissage, cette journée accordée aux seuls peintres autrefois, pour venir faire la toilette suprême de leurs tableaux. Maintenant, c’était une primeur, une de ces solennités qui mettent la ville debout, qui la