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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/391

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L’ŒUVRE.

câline et respectueuse d’autrefois. Et il causa de Fagerolles comme d’un peintre à lui, d’un ouvrier à ses gages, qu’il gourmandait souvent. C’était lui qui l’avait installé avenue de Villiers, le forçant à avoir un hôtel, le meublant ainsi qu’une fille, l’endettant par des fournisseurs de tapis et de bibelots, pour le tenir ensuite à sa merci ; et, maintenant, il commençait à l’accuser de manquer d’ordre, de se compromettre en garçon léger. Par exemple, ce tableau, jamais un peintre sérieux ne l’aurait envoyé au Salon ; sans doute, cela faisait du tapage, on parlait même de la médaille d’honneur ; mais rien n’était plus mauvais pour les hauts prix. Quand on voulait avoir les Américains, il fallait savoir rester chez soi, comme un bon dieu au fond de son tabernacle.

— Mon cher, vous me croirez si vous voulez, j’aurais donné vingt mille francs de ma poche pour que ces imbéciles de journaux ne fissent pas tout ce vacarme autour de mon Fagerolles de cette année.

Bongrand, qui écoutait bravement, malgré sa souffrance, eut un sourire.

— En effet, ils ont peut-être poussé les indiscrétions un peu loin… Hier, j’ai lu un article, où j’ai appris que Fagerolles mangeait tous les matins deux œufs à la coque.

Il riait de ce coup brutal de publicité, qui, depuis une semaine, occupait Paris du jeune maître, à la suite d’un premier article sur son tableau, que personne encore n’avait vu. Toute la bande des reporters s’était mise en campagne, on le déshabillait, son enfance, son père le fabricant de zinc d’art, ses études, où il logeait, comment il vivait, jusqu’à la couleur de ses chaussettes, jusqu’à une manie qu’il avait de se pincer le bout du nez. Et il était la pas-