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LES ROUGON-MACQUART.

farceur injuriant une œuvre ? Cette œuvre serait la sienne, à coup sûr. Il avait encore dans les oreilles les rires du Salon des Refusés, autrefois. Et, de chaque porte, il écoutait maintenant, pour entendre si ce n’était pas là qu’on le huait.

Mais, comme il se retrouvait dans la salle de l’Est, cette halle où agonise le grand art, le dépotoir où l’on empile les vastes compositions historiques et religieuses, d’un froid sombre, il eut une secousse, il demeura immobile, les yeux en l’air. Cependant, il était passé deux fois déjà. Là-haut, c’était bien sa toile, si haut, si haut, qu’il hésitait à la reconnaître, toute petite, posée en hirondelle, sur le coin d’un cadre, le cadre monumental d’un immense tableau de dix mètres, représentant le Déluge, le grouillement d’un peuple jaune, culbuté dans de l’eau lie de vin. À gauche, il y avait encore le pitoyable portrait en pied d’un général couleur de cendre ; à droite, une nymphe colosse, dans un paysage lunaire, le cadavre exsangue d’une assassinée, qui se gâtait sur l’herbe ; et alentour, partout, des choses rosâtres, violâtres, des images tristes, jusqu’à une scène comique de moines se grisant, jusqu’à une ouverture de la Chambre, avec toute une page écrite sur un cartouche doré, où les têtes des députés connus étaient reproduites au trait, accompagnées des noms. Et, là-haut, là-haut, au milieu de ces voisinages blafards, la petite toile, trop rude, éclatait férocement, dans une grimace douloureuse de monstre.

Ah ! l’Enfant mort, le misérable petit cadavre, qui n’était plus, à cette distance, qu’une confusion de chairs, la carcasse échouée de quelque bête informe ! Était-ce un crâne, était-ce un ventre, cette tête phé-