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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/395

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L’ŒUVRE.

noménale, enflée et blanchie ? et ces pauvres mains tordues sur les linges, comme des pattes rétractées d’oiseau tué par le froid ! et le lit lui-même, cette pâleur des draps, sous la pâleur des membres, tout ce blanc si triste, un évanouissement du ton, la fin dernière ! Puis, on distinguait les yeux clairs et fixes, on reconnaissait une tête d’enfant, le cas de quelque maladie de la cervelle, d’une profonde et affreuse pitié.

Claude s’approcha, se recula, pour mieux voir. Le jour était si mauvais, que des reflets dansaient dans la toile, de partout. Son petit Jacques, comme on l’avait placé ! sans doute par dédain, ou par honte plutôt, afin de se débarrasser de sa laideur lugubre. Lui, pourtant, l’évoquait, le retrouvait, là-bas, à la campagne, frais et rose, quand il se roulait dans l’herbe, puis rue de Douai, peu à peu pâli et stupide, puis rue Tourlaque, ne pouvant plus porter son front, mourant une nuit tout seul, pendant que sa mère dormait ; et il la revoyait, elle aussi, la mère, la triste femme, restée à la maison, pour y pleurer sans doute, ainsi qu’elle pleurait maintenant les journées entières. N’importe, elle avait bien fait de ne pas venir : c’était trop triste, leur petit Jacques, déjà froid dans son lit, jeté à l’écart en paria, si brutalisé par la lumière, que le visage semblait rire, d’un rire abominable.

Et Claude souffrait plus encore de l’abandon de son œuvre. Un étonnement, une déception, le faisait chercher des yeux la foule, la poussée à laquelle il s’attendait. Pourquoi ne le huait-on pas ? Ah ! les insultes de jadis, les moqueries, les indignations, ce qui l’avait déchiré et fait vivre ! Non, plus rien, pas même un crachat au passage : c’était la mort.