Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/4

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
4
LES ROUGON-MACQUART.

Où diable voulez-vous qu’on pêche une voiture, à cette heure, et par un temps pareil ?

Mais elle jeta un cri, un nouvel éclair l’avait aveuglée ; et, cette fois, elle venait de revoir la ville tragique dans un éclaboussement de sang. C’était une trouée immense, les deux bouts de la rivière s’enfonçant à perte de vue, au milieu des braises rouges d’un incendie. Les plus minces détails apparurent, on distingua les petites persiennes fermées du quai des Ormes, les deux fentes des rues de la Masure et du Paon-Blanc, coupant la ligne des façades ; près du pont Marie, on aurait compté les feuilles des grands platanes, qui mettent là un bouquet de superbe verdure ; tandis que, de l’autre côté, sous le pont Louis-Philippe, au Mail, les toues alignées sur quatre rangs avaient flambé, avec les tas de pommes jaunes dont elles craquaient. Et l’on vit encore les remous de l’eau, la cheminée haute du bateau-lavoir, la chaîne immobile de la dragueuse, des tas de sable sur le port, en face, une complication extraordinaire de choses, tout un monde emplissant l’énorme coulée, la fosse creusée d’un horizon à l’autre. Le ciel s’éteignit, le flot ne roula plus que des ténèbres, dans le fracas de la foudre.

— Oh ! mon Dieu ! c’est fini… Oh ! mon Dieu ! que vais-je devenir ?

La pluie, maintenant, recommençait, si raide, poussée par un tel vent, qu’elle balayait le quai, avec une violence d’écluse lâchée.

— Allons, laissez-moi rentrer, dit Claude, ce n’est pas tenable.

Tous deux se trempaient. À la clarté vague du bec de gaz scellé au coin de la rue de la Femme-sans-Tête, il la voyait ruisseler, la robe collée à la peau,