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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/5

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L’ŒUVRE.

dans le déluge qui battait la porte. Une pitié l’envahit : il avait bien, un soir d’orage, ramassé un chien sur un trottoir ! Mais cela le fâchait de s’attendrir, jamais il n’introduisait de fille chez lui, il les traitait toutes en garçon qui les ignorait, d’une timidité souffrante qu’il cachait sous une fanfaronnade de brutalité ; et celle-ci, vraiment, le jugeait trop bête, de le raccrocher de la sorte, avec son aventure de vaudeville. Pourtant, il finit par dire :

— En voilà assez, montons… Vous coucherez chez moi.

Elle s’effara davantage, elle se débattait.

— Chez vous, oh ! mon Dieu ! Non, non, c’est impossible… Je vous en prie, monsieur, conduisez-moi à Passy, je vous en prie à mains jointes.

Alors, il s’emporta. Pourquoi ces manières, puisqu’il la recueillait ? Déjà, deux fois, il avait tiré la sonnette. Enfin, la porte céda, et il poussa l’inconnue.

— Non, non, monsieur, je vous dis que non…

Mais un éclair l’éblouit, encore, et quand le tonnerre gronda, elle entra d’un bond, éperdue. La lourde porte s’était refermée, elle se trouvait sous un vaste porche, dans une obscurité complète.

— Madame Joseph, c’est moi ! cria Claude à la concierge.

Et, à voix basse, il ajouta :

— Donnez-moi la main, nous avons la cour à traverser.

Elle lui donna la main, elle ne résistait plus, étourdie, anéantie. De nouveau, ils passèrent sous la pluie diluvienne, courant côte à côte, violemment. C’était une cour seigneuriale, énorme, avec des arcades de pierre, confuses dans l’ombre. Puis, ils