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LES ROUGON-MACQUART.

souples, éparpillant leurs efforts, encanaillant l’art nouveau, avant que lui ou un autre ait eu la force de planter le chef-d’œuvre qui daterait cette fin de siècle.

Sandoz protesta, l’avenir restait libre. Puis, pour le distraire, il l’arrêta, en traversant le salon d’honneur.

— Oh ! cette dame en bleu, devant ce portrait ! Quelle claque la nature fiche à la peinture !… Tu te souviens, quand nous regardions le public autrefois, les toilettes, la vie des salles. Pas un tableau ne tenait le coup. Et, aujourd’hui, il y en a qui ne se démolissent pas trop. J’ai même remarqué, là-bas, un paysage dont la tonalité jaune éteignait complètement les femmes qui s’en approchaient.

Mais Claude eut un tressaillement d’indicible souffrance.

— Je t’en prie, allons-nous-en, emmène-moi… Je n’en puis plus.

Au buffet, ils eurent toutes les peines du monde à trouver une table libre. C’était un étouffement, un empilement, dans le vaste trou d’ombre, que des draperies de serge brune ménageaient, sous les travées du haut plancher de fer. Au fond, à demi noyés de ténèbres, trois dressoirs étageaient symétriquement leurs compotiers de fruits ; tandis que, plus en avant, occupant les comptoirs de droite et de gauche, deux dames, une blonde, une brune, surveillaient la mêlée, d’un regard militaire ; et, des profondeurs obscures de cet antre, un flot de petites tables de marbre, une marée de chaises, serrées, enchevêtrées, moutonnait, s’enflait, venait déborder et s’étaler jusque dans le jardin, sous la grande clarté pâle qui tombait des vitres.