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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/399

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L’ŒUVRE.

au Salon des Refusés, et qui, à cette heure, grandissait, rajeunissant les œuvres d’une lumière fine, diffuse, décomposée en nuances infinies. Partout, ce bleuissement se retrouvait, jusque dans les portraits et dans les scènes de genre, haussées aux dimensions et au sérieux de l’histoire. Eux aussi, les vieux sujets académiques, s’en étaient allés, avec les jus recuits de la tradition, comme si la doctrine condamnée emportait son peuple d’ombres ; les imaginations devenaient rares, les cadavéreuses nudités des mythologies et du catholicisme, les légendes sans foi, les anecdotes sans vie, le bric-à-brac de l’École, usé par des générations de malins ou d’imbéciles ; et, chez les attardés des antiques recettes, même chez les maîtres vieillis, l’influence était évidente, le coup de soleil avait passé là. De loin, à chaque pas, on voyait un tableau trouer le mur, ouvrir une fenêtre sur le dehors. Bientôt, les murs tomberaient, la grande nature entrerait, car la brèche était large, l’assaut avait emporté la routine, dans cette gaie bataille de témérité et de jeunesse.

— Ah ! ta part est belle encore, mon vieux ! continua Sandoz. L’art de demain sera le tien, tu les as tous faits.

Claude, alors, desserra les dents, dit très bas, avec une brutalité sombre :

— Qu’est-ce que ça me fout de les avoir faits, si je ne me suis pas fait moi-même ?… Vois-tu, c’était trop gros pour moi, et c’est ça qui m’étouffe.

D’un geste, il acheva sa pensée, son impuissance à être le génie de la formule qu’il apportait, son tourment de précurseur qui sème l’idée sans récolter la gloire, sa désolation de se voir volé, dévoré par des bâcleurs de besogne, toute une nuée de gaillards