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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/406

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LES ROUGON-MACQUART.

devant le maître inavoué de sa jeunesse, cette sorte d’humilité invincible, en face de l’homme dont le muet dédain suffisait en ce moment à gâter son triomphe.

— Ton tableau est très bien, ajouta Claude lentement, pour être bon et courageux.

Ce simple éloge gonfla le cœur de Fagerolles d’une émotion exagérée, irrésistible, montée il ne savait d’où ; et le gaillard, sans foi, brûlé à toutes les farces, répondit d’une voix tremblante :

— Ah ! mon brave, ah ! tu es gentil de me dire ça !

Sandoz venait enfin d’obtenir deux tasses de café, et comme le garçon avait oublié le sucre, il dut se contenter des morceaux laissés par une famille voisine. Quelques tables se vidaient, mais la liberté avait grandi, un rire de femme sonna si haut, que toutes les têtes se retournèrent. On fumait, une lente vapeur bleue s’exhalait au-dessus de la débandade des nappes, tachées de vin, encombrées de vaisselle grasse. Lorsque Fagerolles eut également réussi à se faire apporter deux chartreuses, il se mit à causer avec Sandoz, qu’il ménageait, devinant là une force. Et Jory, alors, s’empara de Claude, redevenu morne et silencieux.

— Dis donc, mon cher, je ne t’ai pas envoyé de lettre, pour mon mariage… Tu sais, à cause de notre position, nous avons fait ça entre nous, sans personne… Mais, tout de même, j’aurais voulu te prévenir. Tu m’excuses, n’est-ce pas ?

Il se montra expansif, donna des détails, heureux de vivre, dans la joie égoïste de se sentir gras et victorieux, en face de ce pauvre diable vaincu. Tout lui réussissait, disait-il. Il avait lâché la chronique, flairant la nécessité d’installer sérieusement sa vie ;