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LES ROUGON-MACQUART.

pêchaient de bien voir. Il lui semblait que jamais il n’aurait le temps de voir assez.

Alors, Sandoz, dans sa pitié profonde, feignit de ne pas avoir aperçu son vieil ami, comme s’il eût voulu le laisser seul, sur la tombe de sa vie manquée. De nouveau, les camarades passaient en bande, Fagerolles et Jory filaient en avant ; et, justement, Mahoudeau lui ayant demandé où était le tableau de Claude, Sandoz mentit, l’écarta, l’emmena. Tous s’en allèrent.

Le soir, Christine n’obtint de Claude que des paroles brèves : tout marchait bien, le public ne se fâchait pas, le tableau faisait bon effet, un peu haut peut-être. Et, malgré cette tranquillité froide, il était si étrange, qu’elle fut prise de peur.

Après le dîner, comme elle revenait de porter des assiettes à la cuisine, elle ne le trouva plus devant la table. Il avait ouvert une fenêtre qui donnait sur un terrain vague, il était là, tellement penché, qu’elle ne le voyait pas. Puis, terrifiée, elle se précipita, elle le tira violemment par son veston.

— Claude ! Claude ! que fais-tu ?

Il s’était retourné, d’une pâleur de linge, les yeux fous.

— Je regarde.

Mais elle ferma la fenêtre de ses mains tremblantes, et elle en garda une telle angoisse, qu’elle ne dormait plus la nuit.