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LES ROUGON-MACQUART.

vante. Et ces richesses s’encadraient dans des tentures rouges, des lambrequins, des rideaux, entre lesquels, au fond de la boutique, comme au saint des saints d’un tabernacle, on voyait pendus trois tableaux, les trois chefs-d’œuvre de Chaîne, qui le suivaient de foire en foire, d’un bout à l’autre de Paris : la Femme adultère au centre, la copie du Mantegna à gauche, le poêle de Mahoudeau à droite. Le soir, quand les lampes à pétrole flambaient, que les tournevires ronflaient et rayonnaient comme des astres, rien n’était plus beau que ces peintures, dans la pourpre saignante des étoffes ; et le peuple béant s’attroupait.

Une pareille vue arracha une exclamation à Claude.

— Ah ! mon Dieu !… Mais elles sont très bien, ces toiles ! elles étaient faites pour ça.

Le Mantegna surtout, d’une sécheresse si naïve, avait l’air d’une image d’Épinal décolorée, clouée là pour le plaisir des gens simples ; tandis que le poêle minutieux et de guingois, en pendant avec le Christ de pain d’épice, prenait une gaieté inattendue.

Mais Chaîne, qui venait d’apercevoir les deux amis, leur tendit la main, comme s’il les avait quittés la veille. Il était calme, sans orgueil ni honte de sa boutique, et il n’avait pas vieilli, toujours en cuir, le nez complètement disparu entre les deux joues, la bouche empâtée de silence, enfoncée dans la barbe.

— Hein ? on se retrouve ! dit gaiement Sandoz. Vous savez qu’ils font rudement de l’effet, vos tableaux.

— Ce farceur ! ajouta Claude, il a son petit Salon à lui tout seul. C’est très malin, ça !

La face de Chaîne resplendit, et il lâcha son mot :

— Bien sûr !

Puis, dans le réveil de son orgueil d’artiste, lui