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LES ROUGON-MACQUART.

colère, exaspéré qu’on se fût permis d’abîmer la nature.

Puis, Claude, lorsqu’il s’approcha de son ancienne demeure, devint muet, les dents serrées. On avait vendu la maison à des bourgeois, il y avait maintenant une grille, à laquelle il colla son visage. Les rosiers étaient morts, les abricotiers étaient morts, le jardin très propre, avec ses petites allées, ses carrés de fleurs et de légumes entourés de buis, se reflétait dans une grosse boule de verre étamé, posée sur un pied, au beau milieu ; et la maison, badigeonnée à neuf, peinturlurée aux angles et aux encadrements en fausses pierres de taille, avait un endimanchement gauche de rustre parvenu, qui enragea le peintre. Non, non, il ne restait là rien de lui, rien de Christine, rien de leur grand amour de jeunesse ! Il voulut voir encore, il monta derrière l’habitation, chercha le petit bois de chênes, ce trou de verdure où ils avaient laissé le vivant frisson de leur première étreinte ; mais le petit bois était mort, mort avec le reste, abattu, vendu, brûlé. Alors, il eut un geste de malédiction, il jeta son chagrin à toute cette campagne, si changée, où il ne retrouvait pas un vestige de leur existence. Quelques années suffisaient donc pour effacer la place où l’on avait travaillé, joui et souffert ? À quoi bon cette agitation vaine, si le vent, derrière l’homme qui marche, balaye et emporte la trace de ses pas ? Il l’avait bien senti qu’il n’aurait point dû revenir, car le passé n’était que le cimetière de nos illusions, on s’y brisait les pieds contre des tombes.

— Allons-nous-en ! cria-t-il, allons-nous-en vite ! C’est stupide, de se crever ainsi le cœur !

Sur le nouveau pont, Sandoz tenta de le calmer,