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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/433

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L’ŒUVRE.

dans l’espace comme une noix sèche, nos œuvres n’ajouteront pas un atome à sa poussière.

— Ça, c’est bien vrai, conclut Sandoz très pâle. À quoi bon vouloir combler le néant ?… Et dire que nous le savons, et que notre orgueil s’acharne !

Ils quittèrent le restaurant, vaguèrent dans les rues, s’échouèrent de nouveau au fond d’un café. Ils philosophaient, ils en étaient venus aux souvenirs de leur enfance, ce qui achevait de leur noyer le cœur de tristesse. Une heure du matin sonnait, quand ils se décidèrent à rentrer chez eux.

Mais Sandoz parla d’accompagner Claude jusqu’à la rue Tourlaque. La nuit d’août était superbe, chaude, criblée d’étoiles. Et, comme ils faisaient un détour, remontant par le quartier de l’Europe, ils passèrent devant l’ancien café Baudequin, sur le boulevard des Batignolles. Le propriétaire avait changé trois fois ; la salle n’était plus la même, repeinte, disposée autrement, avec deux billards à droite ; et les couches de consommateurs s’y étaient succédé, les unes recouvrant les autres, si bien que les anciennes avaient disparu comme des peuples ensevelis. Pourtant la curiosité, l’émotion de toutes les choses mortes qu’ils venaient de remuer ensemble, leur firent traverser le boulevard, pour jeter un coup d’œil dans le café, par la porte grande ouverte. Ils voulaient revoir leur table d’autrefois, au fond, à gauche.

— Oh ! regarde ! dit Sandoz, stupéfait.

— Gagnière !  murmura Claude.

C’était Gagnière, en effet, tout seul à cette table, au fond de la salle vide. Il avait dû venir de Melun pour un de ces concerts du dimanche, dont il se donnait la débauche ; puis, le soir, perdu dans Paris,