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LES ROUGON-MACQUART.

il était monté au café Baudequin, par une vieille habitude des jambes. Pas un des camarades n’y remettait les pieds, et lui, témoin d’un autre âge, s’y entêtait, solitaire. Il n’avait pas encore touché à sa chope, il la regardait, si pensif, que les garçons commençaient à mettre les chaises sur les tables pour le balayage du lendemain, sans qu’il bougeât.

Les deux amis hâtèrent le pas, inquiets de cette figure vague, pris de la terreur enfantine des revenants. Et ils se séparèrent rue Tourlaque.

— Ah ! ce triste Dubuche ! dit Sandoz en serrant la main de Claude, c’est lui qui nous a gâté notre journée.

Dès novembre, lorsque tous les vieux amis furent rentrés, Sandoz songea à les réunir dans un de ses dîners du jeudi, comme il en avait gardé la coutume. C’était toujours la meilleure de ses joies : la vente de ses livres augmentait, le faisait riche ; l’appartement de la rue de Londres prenait un grand luxe, à côté de la petite maison bourgeoise des Batignolles ; et lui restait immuable, En outre, cette fois, il complotait, dans sa bonhomie, de donner à Claude une distraction certaine, par une de leurs chères soirées de jeunesse. Aussi veilla-t-il aux invitations : Claude et Christine naturellement ; Jory et sa femme, qu’il avait fallu recevoir depuis le mariage ; puis, Dubuche qui venait toujours seul ; Fagerolles, Mahoudeau, Gagnière enfin. On serait dix, et rien que des camarades de l’ancienne bande, pas un gêneur, pour que la bonne entente et la gaieté fussent complètes.

Henriette, plus méfiante, hésita, lorsqu’ils arrêtèrent cette liste de convives.

— Oh ! Fagerolles ? Tu crois, Fagerolles avec les autres ? Ils ne l’aiment guère… Et Claude non plus d’ailleurs, j’ai cru remarquer un froid.