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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/436

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LES ROUGON-MACQUART.

les brocanteurs, ils avaient une rage joyeuse d’acheter ; et lui contentait là d’anciens désirs de jeunesse, des ambitions romantiques, nées jadis de ses premières lectures ; si bien que cet écrivain, si farouchement moderne, se logeait dans le moyen âge vermoulu qu’il rêvait d’habiter à quinze ans. Comme excuse, il disait en riant que les beaux meubles d’aujourd’hui coûtaient trop cher, tandis qu’on arrivait tout de suite à de l’allure et à de la couleur, avec des vieilleries, même communes. Il n’avait rien du collectionneur, il était tout pour le décor, pour les grands effets d’ensemble ; et le salon, à la vérité, éclairé par deux lampes de vieux Delft, prenait des tons fanés très doux et très chauds, les ors éteints des dalmatiques réappliqués sur les sièges, les incrustations jaunies des cabinets italiens et des vitrines hollandaises, les teintes fondues des portières orientales, les cent petites notes des ivoires, des faïences, des émaux, pâlis par l’âge et se détachant contre la tenture neutre de la pièce, d’un rouge sombre.

Claude et Christine arrivèrent les premiers. Cette dernière avait mis son unique robe de soie noire, une robe usée, finie, qu’elle entretenait avec des soins extrêmes, pour les occasions semblables. Tout de suite, Henriette lui prit les deux mains, en l’attirant sur un canapé. Elle l’aimait beaucoup, elle la questionna, en la voyant singulière, les yeux inquiets dans sa pâleur touchante. Qu’avait-elle donc ? souffrait-elle ? Non, non, elle répondit qu’elle était très gaie, très heureuse de venir ; et ses regards, à chaque minute, allaient vers Claude, comme pour l’étudier, puis se détournaient. Lui, paraissait excité, d’une fièvre de paroles et de gestes qu’il n’avait pas montrée depuis plusieurs mois. Seulement, par ins-