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L’ŒUVRE.

de la querelle. Et Sandoz, gagné d’une inquiétude, s’étonnait : qu’avaient-ils donc à l’attaquer si durement ? n’avait-on pas débuté ensemble, ne devait-on pas arriver dans la même victoire ? Un malaise, pour la première fois, troublait son rêve d’éternité, cette joie de ses jeudis qu’il voyait se succéder, tous pareils, tous heureux, jusqu’aux derniers jours lointains de l’âge. Mais ce ne fut encore qu’un frisson à fleur de peau. Il dit en riant :

— Claude, ménage-toi, voici les gelinottes… Eh ! Claude, où es-tu ?

Depuis qu’on se taisait, Claude était retourné dans son rêve, les regards perdus, reprenant des raviolis, sans savoir ; et Christine, qui ne disait rien, triste et charmante, ne le quittait pas des yeux. Il eut un sursaut, il choisit une cuisse parmi les morceaux de gelinottes, qu’on servait, et dont le fumet violent emplissait la pièce d’une odeur de résine.

— Hein ! sentez-vous ça ? cria Sandoz, amusé. On croirait qu’on avale toutes les forêts de la Russie.

Mais Claude revint à sa préoccupation.

— Alors, vous dites que Fagerolles aura la salle du Conseil municipal ?

Et cette parole suffit, Mahoudeau et Gagnière, remis sur la piste, repartirent. Ah ! un joli badigeonnage à l’eau claire, si on la lui donnait, cette salle ; et il faisait assez de vilenies pour l’avoir. Lui, qui, autrefois, affectait de cracher sur les commandes, en grand artiste débordé par les amateurs, il assiégeait l’administration de ses bassesses, depuis que sa peinture ne se vendait plus. Connaissait-on quelque chose d’aussi plat qu’un peintre devant un fonctionnaire, et les courbettes, et les concessions, et les lâchetés ? une honte, une école de domesticité,