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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/452

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LES ROUGON-MACQUART.

Puis, dans le salon de nouveau, comme Sandoz désolé en arrivait à souhaiter ardemment de les voir partir, il remarqua Mathilde et Gagnière, assis côte à côte sur un canapé, parlant musique avec langueur, au milieu des autres exténués, sans salive, les mâchoires mortes. Gagnière, en extase, philosophait et poétisait. Mathilde, cette vieille gaupe engraissée, exhalant sa senteur louche de pharmacie, faisait les yeux blancs, se pâmait sous le chatouillement d’une aile invisible. Ils s’étaient aperçus, le dernier dimanche, aux concerts du Cirque, et ils se communiquaient leur jouissance, en phrases alternées, envolées, lointaines.

— Ah ! monsieur, ce Meyerbeer, cette ouverture de Struensée, cette phrase funèbre, et puis cette danse de paysans si emportée, si colorée, et puis la phrase de mort qui reprend, le duo des violoncelles… Ah ! monsieur, les violoncelles, les violoncelles…

— Et, madame, Berlioz, l’air de fête de Roméo… Oh ! le solo des clarinettes, les femmes aimées, avec l’accompagnement des harpes ! Un ravissement, une blancheur qui monte… La fête éclate, un Véronèse, la magnificence tumultueuse des Noces de Cana ; et le chant d’amour recommence, oh ! combien doux ! oh ! toujours plus haut, toujours plus haut…

— Monsieur, avez-vous entendu, dans la symphonie en la de Beethoven, ce glas qui revient toujours, qui vous bat sur le cœur ?… Oui, je le vois bien, vous sentez comme moi, c’est une communion que la musique… Beethoven, mon Dieu ! qu’il est triste et bon d’être deux à le comprendre, et de défaillir…

— Et Schumann, madame, et Wagner, madame… La rêverie de Schumann, rien que les instruments à cordes, une petite pluie tiède sur les feuilles des