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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/453

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L’ŒUVRE.

acacias, un rayon qui les essuie, à peine une larme dans l’espace… Wagner, ah ! Wagner, l’ouverture du Vaisseau fantôme, vous l’aimez, dites que vous l’aimez ! Moi, ça m’écrase. Il n’y a plus rien, plus rien, on meurt…

Leurs voix s’éteignaient, ils ne se regardaient même pas, anéantis, coude à coude, leur visage en l’air, noyé.

Surpris, Sandoz se demanda d’où Mathilde pouvait tenir ce jargon. D’un article de Jory, peut-être. D’ailleurs, il avait remarqué que les femmes causaient très bien musique, sans en connaître une note. Et lui, que l’aigreur des autres n’avait fait que chagriner, s’exaspéra de cette pose langoureuse. Non, non, c’en était assez ! qu’on se déchirât, passe encore ! mais quelle fin de soirée, cette farceuse sur le retour, roucoulant et se chatouillant avec du Beethoven et du Schumann !

Gagnière, heureusement, se leva tout d’un coup. Il savait l’heure au fond de son extase, il n’avait que juste le temps de reprendre son train de nuit. Et, après des poignées de main molles et silencieuses, il s’en alla coucher à Melun.

— Quel raté ! murmura Mahoudeau. La musique a tué la peinture, jamais il ne fichera rien.

Lui-même dut partir, et à peine la porte s’était-elle refermée sur son dos, que Jory déclara :

— Avez-vous vu son dernier presse-papiers ? Il finira par sculpter des boutons de manchette… En voilà un qui a raté la puissance !

Mais déjà, Mathilde était debout, saluant Christine d’un petit geste sec, affectant une familiarité mondaine à l’égard d’Henriette, emmenant son mari, qui l’habilla dans l’antichambre, humble et terrifié des