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LES ROUGON-MACQUART.

— Tu avais raison… Nous ne les inviterons plus à dîner ensemble, ils se mangeraient.

Dehors, dès qu’ils débouchèrent sur la place de la Trinité, Claude lâcha le bras de Christine ; et il bégaya qu’il avait une course, il la pria de rentrer sans lui. Elle l’avait senti trembler d’un grand frisson, elle resta effarée de surprise et de crainte : une course, à une pareille heure, à minuit passé ! pour aller où, pour quoi faire ? Il tournait le dos, il s’échappait, quand elle le rattrapa, en le suppliant, en prétextant qu’elle avait peur, qu’il ne la laisserait pas, si tard, remonter ainsi à Montmartre. Cette considération parut seule le ramener. Il lui reprit le bras, ils gravirent la rue Blanche et la rue Lepic, se trouvèrent enfin rue Tourlaque. Et, devant leur porte, après avoir sonné, de nouveau il la quitta.

— Te voici chez nous… Moi, je vais faire ma course.

Déjà, il se sauvait, à grandes enjambées, en gesticulant comme un fou. La porte s’était ouverte, et elle ne la referma même pas, elle s’élança, pour le suivre. Rue Lepic, elle le rejoignit ; mais, de crainte de l’exalter davantage, elle se contenta dès lors de ne pas le perdre de vue, marchant à une trentaine de mètres, sans qu’il la sût derrière ses talons. Après la rue Lepic, il redescendit la rue Blanche, puis il fila par la rue de la Chaussée-d’Antin et la rue du Quatre-Septembre, jusqu’à la rue Richelieu. Quand elle le vit s’engager dans cette dernière, un froid mortel l’envahit : il allait à la Seine, c’était l’affreuse peur qui la tenait, la nuit, éveillée d’angoisse. Et que faire, mon Dieu ! Aller avec lui, se pendre à son cou, là-bas ? Elle n’avançait plus qu’en chancelant, et à chaque pas qui