Aller au contenu

Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/463

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
463
L’ŒUVRE.

tranquillisait Christine, ce qui la rendait tolérante et pitoyable, dans sa rancune jalouse : tant qu’il ne retournait pas à cette maîtresse désirée et redoutée, elle se croyait moins trahie.

Les pieds gelés par le carreau, elle faisait un mouvement pour regagner le lit, lorsqu’une secousse la ramena. Elle n’avait pas compris d’abord, elle voyait enfin. De sa brosse trempée de couleur, il arrondissait à grands coups des formes grasses, le geste éperdu de caresse ; et il avait un rire immobile aux lèvres, et il ne sentait pas la cire brûlante de la bougie qui lui coulait sur les doigts ; tandis que, silencieux, le va-et-vient passionné de son bras remuait seul contre la muraille : une confusion énorme et noire, une étreinte emmêlée de membres dans un accouplement brutal. C’était à la Femme nue qu’il travaillait.

Alors, Christine ouvrit la porte et s’avança. Une révolte invincible, la colère d’une épouse souffletée chez elle, trompée pendant son sommeil, dans la pièce voisine, la poussait. Oui, il était bien avec l’autre, il peignait le ventre et les cuisses en visionnaire affolé, que le tourment du vrai jetait à l’exaltation de l’irréel ; et ces cuisses se doraient en colonnes de tabernacle, ce ventre devenait un astre, éclatant de jaune et de rouge purs, splendide et hors de la vie. Une si étrange nudité d’ostensoir, où des pierreries semblaient luire, pour quelque adoration religieuse, acheva de la fâcher. Elle avait trop souffert, elle ne voulait plus tolérer cette trahison.

Pourtant, d’abord, elle se montra simplement désespérée et suppliante. Ce n’était que la mère qui sermonnait son grand fou d’artiste.

— Claude, que fais-tu là ?… Claude, est-ce raison-