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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/464

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LES ROUGON-MACQUART.

nable, d’avoir des idées pareilles ? Je t’en prie, reviens te coucher, ne reste pas sur cette échelle, où tu vas prendre du mal.

Il ne répondit pas, il se baissa encore pour tremper son pinceau, et fit flamboyer les aines, qu’il accusa de deux traits de vermillon vif.

— Claude, écoute-moi, reviens avec moi, de grâce… Tu sais que je t’aime, tu vois l’inquiétude où tu m’as mise… Reviens, oh ! reviens, si tu ne veux pas que j’en meure, moi aussi, d’avoir si froid et de t’attendre.

Hagard, il ne la regarda pas, il lâcha seulement d’une voix étranglée, en fleurissant de carmin le nombril :

— Fous-moi la paix, hein ! Je travaille.

Un instant, Christine resta muette. Elle se redressait, ses yeux s’allumaient d’un feu sombre, toute une rébellion gonflait son être doux et charmant. Puis, elle éclata, dans un grondement d’esclave poussée à bout.

— Eh bien ! non, je ne te foutrai pas la paix !… En voilà assez, je te dirai ce qui m’étouffe, ce qui me tue, depuis que je te connais… Ah ! cette peinture, oui ! ta peinture, c’est elle, l’assassine, qui a empoisonné ma vie. Je l’avais pressenti, le premier jour ; j’en avais eu peur comme d’un monstre, je la trouvais abominable, exécrable ; et puis, on est lâche, je t’aimais trop pour ne pas l’aimer, j’ai fini par m’y faire, à cette criminelle… Mais, plus tard, que j’en ai souffert, comme elle m’a torturée ! En dix ans, je ne me souviens pas d’avoir vécu une journée sans larmes… Non, laisse-moi, je me soulage, il faut que je parle, puisque j’en ai trouvé la force… Dix années d’abandon, d’écrasement quotidien ; ne plus