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LES ROUGON-MACQUART.

repartirent, dans le vertige de leur chevauchée à travers les étoiles. Leurs ravissements recommençaient, trois fois il leur sembla qu’ils volaient de la terre au bout du ciel. Quel grand bonheur ! comment n’avait-il pas songé à se guérir dans ce bonheur certain ? Et elle se donnait encore, et il vivrait heureux, sauvé, n’est-ce pas ? maintenant qu’il avait cette ivresse.

Le jour allait naître, lorsque Christine, ravie, foudroyée de sommeil, s’endormit aux bras de Claude. Elle le liait d’une cuisse, la jambe jetée en travers des siennes, comme pour s’assurer qu’il ne lui échapperait plus ; et, la tête roulée sur cette poitrine d’homme qui lui servait de tiède oreiller, elle soufflait doucement, un sourire aux lèvres. Lui, avait fermé les yeux ; mais, de nouveau, malgré sa fatigue écrasante, il les rouvrit, il regarda l’ombre. Le sommeil le fuyait, une sourde poussée d’idées confuses remontait dans son hébétement, à mesure qu’il se refroidissait et se dégageait de la griserie voluptueuse, dont tous ses muscles restaient ébranlés. Quand le petit jour parut, une salissure jaune, une tache de boue liquide sur les vitres de la fenêtre, il tressaillit, il crut avoir entendu une voix haute l’appeler du fond de l’atelier. Ses pensées étaient revenues toutes, débordantes, torturantes, creusant son visage, contractant ses mâchoires dans un dégoût humain, deux plis amers qui faisaient de son masque la face ravagée d’un vieillard. Maintenant, cette cuisse de femme, allongée sur lui, prenait une lourdeur de plomb ; il en souffrait comme d’un supplice, d’une meule dont on lui broyait les genoux, pour des fautes inexpiées ; et la tête également, posée sur ses côtes, l’étouffait, arrêtait d’un poids énorme