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LES ROUGON-MACQUART.

démolie et brûlée moi-même, ah ! de grand cœur, je vous assure, comme on se venge !

Ils se turent un instant, La route large de Saint-Ouen s’en allait toute droite, à l’infini ; et, au milieu de la campagne rase, le petit convoi filait, pitoyable, perdu, le long de cette chaussée, où coulait un fleuve de boue. Une double clôture de palissades la bordait, de vagues terrains s’étalaient à droite et à gauche, il n’y avait au loin que des cheminées d’usine et quelques hautes maisons blanches, isolées, plantées de biais. On traversa la fête de Clignancourt : des baraques, des cirques, des chevaux de bois aux deux côtés de la route, grelottant sous l’abandon de l’hiver, des guinguettes vides, des balançoires verdies, une ferme d’opéra comique : À la Ferme de Picardie, d’une tristesse noire, entre ses treillages arrachés.

— Ah ! ses anciennes toiles, reprit Bongrand, les choses qui étaient quai de Bourbon, vous vous souvenez ? Des morceaux extraordinaires ! Hein ? les paysages rapportés du Midi, et les académies faites chez Boutin, des jambes de fillette, un ventre de femme, oh ! ce ventre… C’est le père Malgras qui doit l’avoir, une étude magistrale, que pas un de nos jeunes maîtres n’est fichu de peindre… Oui, oui, le gaillard n’était pas une bête. Un grand peintre, simplement !

— Quand je pense, dit Sandoz, que ces petits fignoleurs de l’École et du journalisme l’ont accusé de paresse et d’ignorance, en répétant les uns à la suite des autres qu’il avait toujours refusé d’apprendre son métier !… Paresseux, mon Dieu ! lui que j’ai vu s’évanouir de fatigue, après des séances de dix heures, lui qui avait donné sa vie entière, qui s’est tué dans sa folie de travail !… Et ignorant, est-ce imbécile ! Jamais ils ne comprendront que ce