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L’ŒUVRE.

tournantes et escarpées comme des sentiers de montagne. Les chevaux du corbillard glissaient sur le pavé gras, on entendait les sourds cahots des roues. À la suite, les dix piétinaient, se retenaient parmi les flaques, si occupés de cette descente pénible, qu’ils ne causaient pas encore, Mais, au bas de la rue du Ruisseau, lorsqu’on tomba à la porte de Clignancourt, au milieu de ces vastes espaces, où se déroulent le boulevard de ronde, le chemin de fer de ceinture, les talus et les fossés des fortifications, il y eut des soupirs d’aise, on échangea quelques mots, on commença à se débander.

Sandoz et Bongrand, peu à peu, se trouvèrent à la queue, comme pour s’isoler de ces gens qu’ils n’avaient jamais vus. Au moment où le corbillard passait la barrière, le second se pencha.

— Et la petite femme, qu’en va-t-on faire ?

— Ah ! quelle pitié ! répondit Sandoz. Je suis allé la voir hier à l’hôpital. Elle a une fièvre cérébrale. L’interne prétend qu’on la sauvera, mais qu’elle en sortira vieillie de dix ans et sans force… Vous savez qu’elle en était venue à oublier jusqu’à son orthographe. Une déchéance, un écrasement, une demoiselle ravalée à une bassesse de servante ! Oui, si nous ne prenons pas soin d’elle comme d’une infirme, elle finira laveuse de vaisselle quelque part.

— Et pas un sou, naturellement ?

— Pas un sou. Je croyais trouver les études qu’il avait faites sur nature pour son grand tableau, ces études superbes dont il tirait ensuite un si mauvais parti. Mais j’ai fouillé vainement, il donnait tout, des gens le volaient. Non, rien à vendre, pas une toile possible, rien que cette toile immense que j’ai