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L’ŒUVRE.

millements dans les mains. Oui ! toute la vie moderne ! Des fresques hautes comme le Panthéon ! Une sacrée suite de toiles à faire éclater le Louvre !

Dès qu’ils étaient ensemble, le peintre et l’écrivain en arrivaient d’ordinaire à cette exaltation. Ils se fouettaient mutuellement, ils s’affolaient de gloire ; et il y avait là une telle envolée de jeunesse, une telle passion du travail, qu’eux-mêmes souriaient ensuite de ces grands rêves d’orgueil, ragaillardis, comme entretenus en souplesse et en force.

Claude, qui se reculait maintenant jusqu’au mur, y demeura adossé, s’abandonnant. Alors, Sandoz, brisé par la pose, quitta le divan et alla se mettre près de lui. Puis, tous deux regardèrent, de nouveau muets. Le monsieur en veston de velours était ébauché entièrement ; la main, plus poussée que le reste, faisait dans l’herbe une note très intéressante, d’une jolie fraîcheur de ton ; et la tache sombre du dos s’enlevait avec tant de vigueur, que les petites silhouettes du fond, les deux femmes luttant au soleil, semblaient s’être éloignées, dans le frisson lumineux de la clairière ; tandis que la grande figure, la femme nue et couchée, à peine indiquée encore, flottait toujours, ainsi qu’une chair de songe, une Ève désirée naissant de la terre, avec son visage qui souriait, sans regard, les paupières closes.

— Décidément, comment appelles-tu ça ? demanda Sandoz.

Plein air, répondit Claude d’une voix brève.

Mais ce titre parut bien technique à l’écrivain, qui, malgré lui, était parfois tenté d’introduire de la littérature dans la peinture.

— Plein air, ça ne dit rien.

— Ça n’a besoin de rien dire… Des femmes et un