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LES ROUGON-MACQUART.

homme se reposent dans une forêt, au soleil. Est-ce que ça ne suffit pas ? Va, il y en a assez pour faire un chef-d’œuvre.

Il renversa la tête, il ajouta entre ses dents :

— Nom d’un chien, c’est encore noir ! J’ai ce sacré Delacroix dans l’œil. Et ça, tiens ! cette main-là, c’est du Courbet… Ah ! nous y trempons tous, dans la sauce romantique. Notre jeunesse y a trop barboté, nous en sommes barbouillés jusqu’au menton. Il nous faudra une fameuse lessive.

Sandoz haussa désespérément les épaules : lui aussi se lamentait d’être né au confluent d’Hugo et de Balzac. Cependant, Claude restait satisfait, dans l’excitation heureuse d’une bonne séance. Si son ami pouvait lui donner deux ou trois dimanches pareils, le bonhomme y serait, et carrément. Pour cette fois, il y en avait assez. Tous deux plaisantèrent, car d’habitude il tuait ses modèles, ne les lâchant qu’évanouis, morts de fatigue. Lui-même attendait de tomber, les jambes rompues, le ventre vide. Et, comme cinq heures sonnaient au coucou, il se jeta sur son reste de pain, il le dévora. Épuisé, il le cassait de ses doigts tremblants, il le mâchait à peine, revenu devant son tableau, repris par son idée, au point qu’il ne savait même pas qu’il mangeait.

— Cinq heures, dit Sandoz qui s’étirait, les bras en l’air. Nous allons dîner… Justement, voici Dubuche. 

On frappait, et Dubuche entra. C’était un gros garçon brun, au visage correct et bouffi, le cheveux ras, les moustaches déjà fortes. Il donna des poignées de main, il s’arrêta d’un air interloqué devant le tableau. Au fond, cette peinture déréglée le bousculait, dans la pondération de sa nature, dans son respect de bon élève pour les formules établies ; et sa vieille amitié