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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/62

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LES ROUGON-MACQUART.

crever quelque chose, quand je me retourne. Il n’y a pas moyen que je continue, parole d’honneur ! il faudra que je liquide, et je finirai à l’hôpital… N’est-ce pas ? vous me connaissez, j’ai le cœur plus grand que la poche, je ne demande qu’à obliger les jeunes gens de talent comme vous. Oh ! pour ça, vous avez du talent, je ne cesse de le leur crier. Mais, que voulez-vous ? ils ne mordent pas, ah ! non, ils ne mordent pas !

Il jouait l’émotion ; puis, avec l’élan d’un homme qui fait une folie :

— Enfin, je ne serai pas venu pour rien… Qu’est-ce que vous me demandez de cette pochade ?

Claude, agacé, peignait avec des tressaillements nerveux. Il répondit d’une voix sèche, sans tourner la tête

— Vingt francs.

— Comment ! Vingt francs ! Vous êtes fou ! Vous m’avez vendu les autres dix francs pièce… Aujourd’hui, je ne donnerai que huit francs, pas un sou de plus !

D’habitude, le peintre cédait tout de suite, honteux et excédé de ces querelles misérables, bien heureux au fond de trouver ce peu d’argent. Mais, cette fois, il s’entêta, il vint crier des insultes dans la face du marchand de tableaux, qui se mit à le tutoyer, lui retira tout talent, l’accabla d’invectives, en le traitant de fils ingrat. Ce dernier avait fini par sortir de sa poche, une à une, trois pièces de cent sous ; et il les lança de loin comme des palets, sur la table, où elles sonnèrent parmi les assiettes.

— Une, deux, trois… Pas une de plus, entends-tu ! car il y en a déjà une de trop, et tu me la rendras, je te la retiendrai sur autre chose, parole d’hon-