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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/64

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LES ROUGON-MACQUART.

une force supérieure. Dans le grand silence morne qui s’était fait, après l’éclat de la dispute, il chancelait, aveuglé, égaré, devant son œuvre informe. Alors, il bégaya :

— Ah ! je ne peux plus, je ne peux plus… Ce cochon m’a achevé !

Sept heures venaient de sonner au coucou, il avait travaillé là huit longues heures, sans manger autre chose qu’une croûte, sans se reposer une minute, debout, secoué de fièvre. Maintenant, le soleil se couchait, une ombre commençait à assombrir l’atelier, où cette fin de jour prenait une mélancolie affreuse. Lorsque la lumière s’en allait ainsi, sur une crise de mauvais travail, c’était comme si le soleil ne devait jamais reparaître, après avoir emporté la vie, la gaieté chantante des couleurs.

— Viens, supplia Sandoz, avec l’attendrissement d’une pitié fraternelle. Viens, mon vieux. 

Dubuche lui-même ajouta :

— Tu verras plus clair demain. Viens dîner. 

Un moment, Claude refusa de se rendre. Il demeurait cloué au parquet, sourd à leurs voix amicales, farouche dans son entêtement. Que voulait-il faire, maintenant que ses doigts raidis lâchaient le pinceau ? Il ne savait pas ; mais il avait beau ne plus pouvoir, il était ravagé par un désir furieux de pouvoir encore, de créer quand même. Et, s’il ne faisait rien, il resterait au moins, il ne quitterait pas la place. Puis, il se décida, un tressaillement le traversa comme d’un grand sanglot. À pleine main, il avait pris un couteau à palette très large ; et, d’un seul coup, lentement, profondément, il gratta la tête et la gorge de la femme. Ce fut un meurtre véritable, un écrasement : tout disparut dans une bouillie fan-