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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/71

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L’ŒUVRE.

avec la danse lamentable des châssis dont elle était pleine ; puis, la queue galopait, forçant les passants à se coller contre les maisons, s’ils ne voulaient pas être renversés ; et les boutiquiers, béants sur leurs portes, croyaient à une révolution. Tout le quartier était dans le bouleversement. Rue Jacob, la débâcle devint telle, au milieu de cris si affreux, que des persiennes se fermèrent. Comme on entrait enfin rue Bonaparte, un grand blond fit la farce de saisir une petite bonne, ahurie sur le trottoir, et de l’entraîner. Une paille dans le torrent.

— Eh bien ! adieu, dit Claude. À ce soir !

— Oui, à ce soir !

Le peintre, hors d’haleine, s’était arrêté au coin de la rue des Beaux-Arts. Devant lui, la cour de l’École se trouvait grande ouverte. Tout s’y engouffra.

Après avoir soufflé un moment, Claude regagna la rue de Seine. Sa malechance s’aggravait, il était dit qu’il ne débaucherait pas un camarade, ce matin-là ; et il remonta la rue, il marcha lentement jusqu’à la place du Panthéon, sans idée nette ; puis, il pensa qu’il pouvait toujours entrer à la mairie, pour serrer la main de Sandoz. Ce serait dix bonnes minutes. Mais il demeura suffoqué, quand un garçon lui répondit que M. Sandoz avait demandé un jour de congé, pour un enterrement. Il connaissait cependant l’histoire, son ami alléguait ce motif, chaque fois qu’il voulait avoir, chez lui, toute une journée de bon travail. Et il prenait déjà sa course, lorsqu’une fraternité d’artiste, un scrupule de travailleur honnête, l’arrêta : c’était un crime que d’aller déranger un brave homme, de lui apporter le découragement d’une œuvre rebelle, au moment où il abattait sans doute gaillardement la sienne.