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L’ŒUVRE.

la barre en travers du crâne. Et, lorsque, de nouveau, il retomba sur les quais, la pensée lui vint de rentrer, pour voir si son tableau était vraiment très mauvais. Mais cette pensée seule le secoua d’un tremblement. Son atelier lui semblait un lieu d’horreur, où il ne pouvait plus vivre, comme s’il y avait laissé le cadavre d’une affection morte. Non, non, monter les trois étages, ouvrir la porte, s’enfermer en face de ça : il lui aurait fallu une force au-dessus de son courage ! Il traversa la Seine, il suivit toute la rue Saint-Jacques. Tant pis ! il était trop malheureux, il allait, rue d’Enfer, débaucher Sandoz.

Le petit logement, au quatrième, se composait d’une salle à manger, d’une chambre à coucher et d’une étroite cuisine, que le fils occupait ; tandis que la mère, clouée par la paralysie, avait, de l’autre côté du palier, une chambre où elle vivait dans une solitude chagrine et volontaire. La rue était déserte, les fenêtres ouvraient sur le vaste jardin des Sourds-Muets, que dominaient la tête arrondie d’un grand arbre et le clocher carré de Saint-Jacques du Haut-Pas.

Claude trouva Sandoz dans sa chambre, courbé sur sa table, absorbé devant une page écrite.

— Je te dérange ?

— Non, je travaille depuis ce matin, j’en ai assez… Imagine-toi, voici une heure que je m’épuise à retaper une phrase mal bâtie, dont le remords m’a torturé pendant tout mon déjeuner. 

Le peintre eut un geste de désespoir ; et, à le voir si lugubre, l’autre comprit.

— Hein ? toi, ça ne va guère… Sortons. Un grand tour pour nous dérouiller un peu, veux-tu ?  

Mais, comme il passait devant la cuisine, une vieille