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L’ŒUVRE.

à mener une vie désordonnée, sans argent et sans dettes ; et cette science innée de jouir pour rien s’alliait en lui à une duplicité continuelle, à une habitude de mensonge qu’il avait contractée dans le milieu dévot de sa famille, où le souci de cacher ses vices le faisait mentir sur tout, à toute heure, même inutilement. Il eut une réponse superbe, le cri d’un sage qui aurait beaucoup vécu.

— Oh ! vous autres, vous ne savez pas le prix de l’argent. 

Cette fois, il fut hué. Quel bourgeois ! Et les invectives s’aggravaient, lorsque de légers coups, frappés contre une vitre, firent cesser le vacarme.

— Ah ! elle est embêtante à la fin ! dit Mahoudeau avec un geste d’humeur.

— Hein ! qui est-ce ? l’herboriste ? demanda Jory. Laisse-la entrer, ce sera drôle.

D’ailleurs, la porte s’était ouverte sans attendre, et la voisine, madame Jabouille, Mathilde comme on la nommait familièrement, parut sur le seuil. Elle avait trente ans, la figure plate, ravagée de maigreur, avec des yeux de passion, aux paupières violâtres et meurtries. On racontait que les prêtres l’avaient mariée au petit Jabouille, un veuf dont l’herboristerie prospérait alors, grâce à la clientèle pieuse du quartier. La vérité était qu’on apercevait parfois de vagues ombres de soutanes, traversant le mystère de la boutique, embaumée par les aromates d’une odeur d’encens. Il y régnait une discrétion de cloître, une onction de sacristie, dans la vente des canules ; et les dévotes qui entraient, chuchotaient comme au confessionnal, glissaient des injecteurs au fond de leur sac, puis s’en allaient, les yeux baissés. Par malheur, des bruits d’avortement avaient couru : une