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LES ROUGON-MAQUART.

fille l’écorchait vif, chaque fois qu’il la trahissait pour le premier jupon crotté, suivi sur un trottoir. Aussi montrait-il toujours quelque nouvelle balafre, le nez en sang, une oreille fendue, un œil entamé, enflé et bleu.

On causa enfin, il n’y eut plus que Chaîne qui continuât à peindre, de son air entêté de bœuf au labour. Tout de suite, Jory s’était extasié sur l’ébauche de la Vendangeuse. Lui aussi adorait les grosses femmes. Il avait débuté, là-bas, en écrivant des sonnets romantiques, célébrant la gorge et les hanches ballonnées d’une belle charcutière qui troublait ses nuits ; et, à Paris, où il avait rencontré la bande, il s’était fait critique d’art, il donnait, pour vivre, des articles à vingt francs, dans un petit journal tapageur, le Tambour. Même un de ces articles, une étude sur un tableau de Claude, exposé chez le père Malgras, venait de soulever un scandale énorme, car il y sacrifiait à son ami les peintres « aimés du public », et il le posait comme chef d’une école nouvelle, l’école du plein air. Au fond, très pratique, il se moquait de tout ce qui n’était pas sa jouissance, il répétait simplement les théories entendues dans le groupe.

— Tu sais, Mahoudeau, cria-t-il, tu auras ton article, je vais lancer ta bonne femme… Ah ! quelles cuisses ! Si l’on pouvait se payer des cuisses comme ça !  

Puis, brusquement, il parla d’autre chose.

— À propos, mon avare de père m’a fait des excuses. Oui, il craint que je ne le déshonore, il m’envoie cent francs par mois… Je paie mes dettes.

— Des dettes, tu es trop raisonnable !  murmura Sandoz en souriant.

Jory montrait en effet une hérédité d’avarice, dont on s’amusait. Il ne payait pas les femmes, il arrivait