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L’ŒUVRE.

tamer une discussion sur un lot de tableaux infects qu’on venait de mettre au Musée du Luxembourg ; mais tous étaient du même avis : les toiles ne valaient pas les cadres. Et ils ne parlèrent plus, ils fumèrent en échangeant des mots rares et des rires d’intelligence.

— Ah çà, demanda enfin Claude, est-ce que nous attendons Gagnière ?

On protesta. Gagnière était assommant ; et, d’ailleurs, il arriverait bien à l’odeur de la soupe.

— Alors, filons, dit Sandoz. Il y a un gigot ce soir, tâchons d’être à l’heure. 

Chacun paya sa consommation, et tous sortirent. Cela émotionna le café. Des jeunes gens, des peintres sans doute, chuchotèrent en se montrant Claude, comme s’ils avaient vu passer le chef redoutable d’un clan de sauvages. C’était le fameux article de Jory qui produisait son effet, le public devenait complice et allait créer de lui-même l’école du plein air, dont la bande plaisantait encore. Ainsi qu’ils le disaient gaiement, le café Baudequin ne s’était pas douté de l’honneur qu’ils lui faisaient, le jour où ils l’avaient choisi pour être le berceau d’une révolution.

Sur le boulevard, ils se retrouvèrent cinq, Fagerolles avait renforcé le groupe ; et, lentement, ils retraversèrent Paris, de leur air tranquille de conquête. Plus ils étaient, plus ils barraient largement les rues, plus ils emportaient à leurs talons de la vie chaude des trottoirs. Quand ils eurent descendu la rue de Clichy, ils suivirent la rue de la Chaussée-d’Antin, allèrent prendre la rue Richelieu, traversèrent la Seine au pont des Arts pour insulter l’Institut, gagnèrent enfin le Luxembourg par la rue de Seine, où une affiche tirée en trois couleurs, la réclame vio-