Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/96

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
96
LES ROUGON-MACQUART.

lemment enluminée d’un cirque forain, les fit crier d’admiration. Le soir venait, le flot des passants coulait ralenti, c’était la ville lasse qui attendait l’ombre, prête à se livrer au premier mâle assez vigoureux pour la prendre.

Rue d’Enfer, lorsque Sandoz eut fait entrer les quatre autres chez lui, il disparut dans la chambre de sa mère ; il y resta quelques minutes, puis revint sans dire un mot, avec le sourire discret et attendri qu’il avait toujours en en sortant. Et ce fut aussitôt, dans son étroit logis, un vacarme terrible, des rires, des discussions, des clameurs. Lui-même donnait l’exemple, aidait au service la femme de ménage, qui s’emportait en paroles amères, parce qu’il était sept heures et demie, et que son gigot se desséchait. Les cinq, attablés, mangeaient déjà la soupe, une soupe à l’oignon très bonne, quand un nouveau convive parut.

— Oh ! Gagnière ! hurla-t-on en chœur.

Gagnière, petit, vague, avec sa figure poupine et étonnée, qu’une barbe follette blondissait, demeura un instant sur le seuil à cligner ses yeux verts. Il était de Melun, fils de gros bourgeois qui venaient de lui laisser là-bas deux maisons, et il avait appris la peinture tout seul dans la forêt de Fontainebleau, il peignait des paysages consciencieux, d’intentions excellentes ; mais sa vraie passion était la musique, une folie de musique, une flambée cérébrale qui le mettait de plain-pied avec les plus exaspérés de la bande.

— Est-ce que je suis de trop ? demanda-t-il doucement.

— Non, non, entre donc ! cria Sandoz.

Déjà, la femme de ménage apportait un couvert.

— Si l’on ajoutait tout de suite une assiette pour