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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/98

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LES ROUGON-MACQUART.

au milieu de ces hurlements, avançait sa grosse face pâle, en bégayant des explications.

— Vrai, je vous assure, c’est la faute de l’omnibus… J’en ai attendu cinq aux Champs-Élysées.

— Non, non, il ment !… Qu’il s’en aille, il n’aura pas de gigot !… À la porte, à la porte !  

Pourtant, il avait fini par entrer, et l’on remarqua alors qu’il était très correctement mis, tout en noir, pantalon noir, redingote noire, cravaté, chaussé, épinglé, avec la raideur cérémonieuse d’un bourgeois qui dîne en ville.

— Tiens ! il a raté son invitation, cria plaisamment Fagerolles. Vous ne voyez pas que ses femmes du monde l’ont laissé partir, et qu’il accourt manger notre gigot, parce qu’il ne sait plus où aller !  

Il devint rouge, il balbutia :

— Oh ! quelle idée ! Êtes-vous méchants !… Fichez-moi la paix à la fin !  

Sandoz et Claude, placés côte à côte, souriaient : et le premier appela Dubuche d’un signe, pour lui dire :

— Mets ton couvert toi-même, prends là un verre et une assiette, et assieds-toi entre nous deux… Ils te laisseront tranquille. 

Mais, tout le temps qu’on mangea le gigot, les plaisanteries continuèrent. Lui-même, quand la femme de ménage lui eut retrouvé une assiettée de soupe et une part de raie, se blagua, en bon enfant. Il affectait d’être affamé, torchait goulument son assiette, et il racontait une histoire, une mère qui lui avait refusé sa fille, parce qu’il était architecte. La fin du dîner fut ainsi très bruyante, tous parlaient à la fois. Un morceau de brie, l’unique dessert, eut un succès énorme. On n’en laissa pas. Le pain faillit manquer.