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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/97

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L’ŒUVRE.

Dubuche ? dit Claude. Il m’a dit qu’il viendrait sans doute. 

Mais on conspua Dubuche, qui fréquentait des femmes du monde. Jory raconta qu’il l’avait rencontré en voiture avec une vieille dame et sa demoiselle, dont il tenait les ombrelles sur les genoux.

— D’où sors-tu, pour être si en retard ? reprit Fagerolles, en s’adressant à Gagnière.

Celui-ci, qui allait avaler sa première cuillerée de soupe, la reposa dans son assiette.

— J’étais rue de Lancry, tu sais, où ils font de la musique de chambre… Oh ! mon cher, des machines de Schumann, tu n’as pas idée ! Ça vous prend là, derrière la tête, c’est comme si une femme vous soufflait dans le cou. Oui, oui, quelque chose de plus immatériel qu’un baiser, l’effleurement d’une haleine… Parole d’honneur, on se sent mourir… 

Ses yeux se mouillaient, il pâlissait comme dans une jouissance trop vive.

— Mange ta soupe, dit Mahoudeau, tu nous raconteras ça après.

La raie fut servie, et l’on fit apporter la bouteille de vinaigre sur la table, pour corser le beurre noir, qui semblait fade. On mangeait dur, les morceaux de pain disparaissaient. D’ailleurs, aucun raffinement, du vin au litre, que les convives mouillaient beaucoup, par discrétion, pour ne pas pousser à la dépense. On venait de saluer le gigot d’un hourra, et le maître de la maison s’était mis à le découper, lorsque de nouveau la porte s’ouvrit. Mais, cette fois, des protestations furieuses s’élevèrent.

— Non, non, plus personne !… À la porte, le lâcheur !  

Dubuche, essoufflé d’avoir couru, ahuri de tomber