Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/162

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homme. Et, dans cette grande enfance, au teint si pur encore, avec certains coins délicats de fille, cette virilité, si brusquement épanouie gênait et effrayait, ainsi qu’une monstruosité.

— L’école vous fait donc bien peur mon petit ami ? finit par dire madame Caroline. Vous y seriez pourtant mieux qu’ici… Où couchez-vous ? 

D’un geste, il montra la paillasse.

— Là, avec elle. 

Contrariée de cette réponse franche, la mère Eulalie s’agita, cherchant une explication.

— Je lui avais fait un lit avec un petit matelas ; et puis, il a fallu le vendre… On couche comme on peut, n’est-ce pas ? quand tout a filé.

La Méchain crut devoir intervenir, bien qu’elle n’ignorât rien de ce qui se passait.

— Ce n’est tout de même pas convenable, Eulalie… Et toi, garnement, tu aurais bien pu venir coucher chez moi, au lieu de coucher avec elle. 

Mais Victor se planta sur ses courtes et fortes jambes, se carrant dans sa précocité de mâle.

— Pourquoi donc, c’est ma femme ! 

Alors, la mère Eulalie, vautrée dans sa molle graisse, prit le parti de rire, tâchant de sauver l’abomination, en en parlant d’un air de plaisanterie. Et une admiration tendre perçait en elle.

— Oh ! ça, bien sûr que je ne lui confierais pas ma fille, si j’en avais une… C’est un vrai petit homme. 

Madame Caroline frémit. Le cœur lui manquait, dans une nausée affreuse. Eh quoi ? ce gamin de douze ans, ce petit monstre, avec cette femme de quarante, ravagée et malade, sur cette paillasse immonde, au milieu de ces tessons et de cette puanteur ! Ah ! misère, qui détruit et pourrit tout !

Elle laissa vingt francs, se sauva, revint se réfugier chez la propriétaire, pour prendre un parti et s’entendre définitivement avec celle-ci. Une idée s’était éveillée en elle, devant un tel abandon, celle de l’Œuvre du Travail :