Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/235

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qui, par crainte d’une explication, se sauvait, très égayée, à l’idée de la bonne farce.

Saccard, secoué encore, piétinant, alla fermer les portes, revint dans la chambre, où la baronne était restée ; clouée sur sa chaise. Il se promena à grands pas, repoussa dans la cheminée un tison qui s’écroulait ; et, la voyant seulement alors, si singulière et si peu couverte, avec ce jupon sur les épaules, il se montra très convenable.

— Habillez-vous donc, ma chère… Et ne vous émotionnez pas. C’est bête, mais ce n’est rien, rien du tout… Nous nous reverrons ici, après-demain, pour nous arranger, n’est-ce pas ? Moi, il faut que je file, j’ai un rendez-vous avec Huret. 

Et, comme elle remettait enfin sa chemise, et qu’il partait, il lui cria de l’antichambre :

— Surtout, si vous achetez de l’Italien, pas de bêtise ! ne le prenez qu’à prime. 

Pendant ce temps, à la même heure, madame Caroline, la tête abattue sur sa table de travail, sanglotait. Le brutal renseignement du cocher, cette trahison de Saccard qu’elle ne pouvait ignorer désormais, remuait en elle tous les soupçons, toutes les craintes qu’elle avait voulu y ensevelir. Elle s’était forcée à la tranquillité et à l’espoir, dans les affaires de l’Universelle, complice, par l’aveuglement de sa tendresse, de ce qu’on ne lui disait pas, de ce qu’elle ne cherchait pas à apprendre. Aussi, maintenant, se reprochait-elle, avec un violent remords, la lettre rassurante qu’elle avait écrite à son frère, lors de la dernière assemblée générale ; car elle le savait, depuis que sa jalousie lui ouvrait de nouveau les yeux et les oreilles, les irrégularités continuaient, s’aggravaient sans cesse, ainsi le compte Sabatani avait grossi, la société jouait de plus en plus, sous le couvert de ce prête-nom, sans parler des réclames énormes et mensongères, des fondations de sable et de boue qu’on donnait à la colossale maison, dont la montée si prompte, comme miraculeuse, la frappait de plus de terreur que de joie. Ce qui surtout l’angoissait, c’était ce terrible train, ce galop continu