Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/339

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de la corbeille, où déjà quelques fiches jetées faisaient des taches de couleurs vives. Face à face, ils se dévisageaient tous, se tâtaient comme les duellistes au début d’une affaire, très pressés de voir s’établir le premier cours.

— J’ai de l’Universelle, répétait la basse grondante de Jacoby. J’ai de l’Universelle.

— À quel cours, l’Universelle ?  demanda Mazaud d’une voix mince, mais si aiguë, qu’elle dominait celle de son collègue, comme un chant de flûte s’entend au-dessus d’un accompagnement de violoncelle.

Et Delarocque proposa le cours de la veille.

— A 3.030, je prends l’Universelle. 

Mais, tout de suite, un autre agent renchérit.

— À 3.035, envoyez l’Universelle. 

C’était le cours de la coulisse qui arrivait, empêchant l’arbitrage que Delarocque devait préparer : un achat à la corbeille et une vente prompte à la coulisse, pour empocher les cinq francs de hausse. Aussi Mazaud se décida-t-il, certain d’être approuvé par Saccard.

— À 3.040, je prends… Envoyez l’Universelle à 3.040.

— Combien ? dut demander Jacoby.

— Trois cents. 

Tous deux écrivirent un bout de ligne sur leur carnet, et le marché était conclu, le premier cours se trouvait fixé, avec une hausse de dix francs sur le cours de la veille. Mazaud se détacha, alla donner le chiffre à celui des coteurs qui avait l’Universelle sur son registre. Alors, pendant vingt minutes, ce fut une véritable écluse lâchée les cours des autres valeurs s’étaient également établis, tout le paquet des affaires apportées par les agents, se concluait, sans grandes variations. Et, cependant, les coteurs, haut perchés, pris entre le vacarme de la corbeille et celui du comptant, qui fonctionnait fiévreusement lui aussi, avaient grand-peine à inscrire toutes les cotes nouvelles que venaient leur jeter les agents et les commis. En arrière, la rente également faisait rage.