Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/41

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voulons que la victoire du socialisme s’y décide un jour… Mais nous vaincrons, parce que nous sommes la justice. Tenez ! vous voyez ce monument devant vous… Vous le voyez ?

— La Bourse ? dit Saccard. Parbleu ! oui, je la vois !

— Eh bien, ce serait bête de la faire sauter, qu’on la rebâtirait ailleurs… Seulement, je vous prédis qu’elle sautera d’elle-même, quand l’État l’aura expropriée, devenu logiquement l’unique et universelle banque de la nation ; et, qui sait ? elle servira alors d’entrepôt public à nos richesses trop grandes, un des greniers d’abondance où nos petits-fils trouveront le luxe de leurs jours de fête ! 

D’un geste large, Sigismond ouvrait cet avenir de bonheur général et moyen. Et il s’était tellement exalté, qu’un nouvel accès de toux le secoua, revenu à sa table, les coudes parmi ses papiers, la tête entre les mains, pour étouffer le râle déchiré de sa gorge. Mais, cette fois, il ne se calmait pas. Brusquement, la porte s’ouvrit, Busch accourut, ayant congédié la Méchain, l’air bouleversé, souffrant lui-même de cette toux abominable. Tout de suite, il s’était penché, avait pris son frère dans ses grands bras, comme un enfant dont on berce la douleur.

— Voyons, mon petit, qu’est-ce que tu as encore, à t’étrangler ? Tu sais, je veux que tu fasses venir un médecin. Ce n’est pas raisonnable… Tu auras trop causé, c’est sûr. 

Et il regardait d’un œil oblique Saccard, resté au milieu de la pièce, décidément bousculé par ce qu’il venait d’entendre, dans la bouche de ce grand diable, si passionné et si malade, qui, de sa fenêtre, là-haut, devait jeter un sort sur la Bourse, avec ses histoires de tout balayer pour tout reconstruire.

— Merci, je vous laisse, dit le visiteur, ayant hâte d’être dehors. Envoyez-moi ma lettre, avec les dix lignes de traduction… J’en attends d’autres, nous réglerons le tout ensemble. 

Mais, la crise étant finie, Busch le retint un instant encore.