Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/418

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— Ah ! c’est vous ! vous tombez bien, ça m’évitera de vous écrire… J’en ai assez et je pars.

— Comment, vous partez ?

— Oui, je pars ce soir, je vais m’installer à Naples, où je passerai l’hiver. 

Puis, lorsqu’il eut, d’un geste, renvoyé le valet de chambre :

— Si vous croyez que ça m’amuse d’avoir, depuis six mois, un père à la Conciergerie ! Je ne vais certainement pas rester pour le voir en correctionnelle. Moi qui déteste les voyages ! Enfin, il fait beau là-bas, j’emporte à peu près l’indispensable, je ne m’ennuierai peut-être pas trop. 

Elle le regardait, si correct, si joli ; elle regardait les malles débordantes, où pas un chiffon d’épouse ni de maîtresse ne traînait, où il n’y avait que le culte de lui-même ; et elle osa pourtant se risquer.

— Moi qui venais encore vous demander un service… 

Puis, elle conta l’histoire, Victor bandit, violant et volant, Victor en fuite, capable de tous les crimes.

— Nous ne pouvons l’abandonner. Accompagnez-moi, unissons nos efforts… 

Il ne la laissa pas finir, livide, pris d’un petit tremblent de peur, comme s’il avait senti quelque main meurtrière et sale se poser sur son épaule.

— Ah bien ! il ne manquait plus que ça !… Un père voleur, un frère assassin… J’ai trop tardé, je voulais partir la semaine dernière. Mais c’est abominable, abominable, de mettre un homme tel que moi dans une situation pareille ! 

Alors, comme elle insistait, il devint insolent.

— Laissez-moi tranquille, vous ! Puisque ça vous amuse, cette vie de chagrins, restez-y. Je vous avais prévenue, c’est bien fait, si vous pleurez… Mais moi, voyez-vous, plutôt que de donner un de mes cheveux, je balaierais au ruisseau tout ce vilain monde. 

Elle s’était levée.

— Adieu donc !