Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/423

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toute cette circulation de sang jeune dans les veines du vieux monde ? Là d’ailleurs encore, il croyait, il disait que l’œuvre entreprise ne pouvait mourir, il n’éprouvait que la douleur de n’être plus celui que le ciel avait élu pour l’exécuter. Surtout, sa voix se brisait, lorsqu’il cherchait en punition de quelle faute Dieu ne lui avait pas permis de réaliser la grande banque catholique destinée à transformer la société moderne, ce Trésor du Saint-Sépulcre qui rendrait un royaume au pape et qui finirait par faire une seule nation de tous les peuples, en enlevant aux juifs la puissance souveraine de l’argent. Il la prédisait aussi, cette banque, inévitable, invincible ; il annonçait le Juste aux mains pures qui la fonderait un jour. Et si, cette après-midi-là, il semblait soucieux, ce devait être simplement que, dans sa sérénité de prévenu dont on allait faire un coupable, il avait songé que, jamais, au sortir de prison, il n’aurait les mains assez nettes pour reprendre la grande besogne.

D’une oreille distraite, il écouta sa sœur lui expliquer que, dans les journaux, l’opinion paraissait lui redevenir un peu plus favorable. Puis, sans transition, la regardant de ses yeux de dormeur éveillé :

— Pourquoi refuses-tu de le voir ? 

Elle frémit, elle comprit bien qu’il lui parlait de Saccard. D’un signe de tête, elle dit non, encore non. Alors, il se décida, confus, à voix très basse.

— Après ce qu’il a été pour toi, tu ne peux refuser, va le voir !

Mon Dieu ! il savait, elle fut envahie d’une ardente rougeur, elle se jeta dans ses bras pour cacher son visage ; et elle bégayait, demandait qui avait pu lui dire, comment il savait cette chose qu’elle croyait ignorée, ignorée de lui surtout.

— Ma pauvre Caroline, il y a longtemps… Des lettres anonymes, de vilaines gens qui nous jalousaient… Jamais je ne t’en ai parlé, tu es libre, nous ne pensons plus de même… Je sais que tu es la meilleure femme de la terre. Va le voir.