Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/424

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Et, gaiement, retrouvant son sourire, il reprit le petit bouquet de roses qu’il avait déjà glissé derrière le crucifix, il le lui remit dans la main, en ajoutant :

— Tiens ! porte-lui ça et dis-lui que je ne lui en veux pas non plus. 

Madame Caroline, bouleversée de cette tendresse si pitoyable de son frère, dans la honte affreuse et le délicieux soulagement qu’elle éprouvait à la fois, ne résista pas davantage. Du reste, depuis le matin, la sourde nécessité de voir Saccard s’imposait à elle. Pouvait-elle ne pas l’avertir de la fuite de Victor, de l’atroce aventure dont elle était encore toute tremblante ? Dès le premier jour, il l’avait fait inscrire parmi les personnes qu’il désirait recevoir ; et elle n’eut qu’à dire son nom, un gardien la conduisit tout de suite à la cellule du prisonnier.

Lorsqu’elle entra, Saccard tournait le dos à la porte, assis devant une petite table, couvrant de chiffres une feuille de papier.

Il se leva vivement, il eut un cri de joie.

— Vous !… Oh ! que vous êtes bonne, et que je suis heureux ! 

Il lui avait pris une main entre les deux siennes, elle souriait d’un air embarrassé, très émue, ne trouvant pas la parole qu’il aurait fallu dire. Puis, de sa main restée libre, elle posa son petit bouquet de deux sous parmi les feuilles, sabrées de chiffres, qui encombraient la table.

— Vous êtes un ange !  murmura-t-il, ravi, en lui baisant les doigts.

Enfin, elle parla.

— C’est vrai, c’était fini, je vous avais condamné dans mon cœur. Mais mon frère veut que je vienne…

— Non, non, ne dites pas cela ! Dites que vous êtes trop intelligente, que vous êtes trop bonne, et que vous avez compris, et que vous me pardonnez… 

D’un geste, elle l’interrompit.

— Je vous en conjure, ne me demandez pas tant. Je ne sais pas moi-même… Cela ne vous suffit-il pas que je sois