Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/109

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elles étaient demeurées inutiles, l’assassin devait avoir caché le couteau, dans le même trou que les billets et la montre. On avait seulement ramassé, à une centaine de mètres avant la station de Barentin, la couverture de voyage de la victime, abandonnée là, comme un objet compromettant ; et elle figurait parmi les pièces à conviction.

Lorsque les Lachesnaye entrèrent, M. Denizet, debout devant son bureau, relisait un des premiers interrogatoires, que son greffier venait de chercher dans le dossier. C’était un homme petit et assez fort, entièrement rasé, grisonnant déjà. Les joues épaisses, le menton carré, le nez large, avaient une immobilité blême, qu’augmentaient encore les paupières lourdes, retombant à demi sur de gros yeux clairs. Mais toute la sagacité, toute l’adresse qu’il croyait avoir, s’étaient réfugiées dans la bouche, une de ces bouches de comédien jouant leurs sentiments à la ville, d’une mobilité extrême, et qui s’amincissait, dans les minutes où il devenait très fin. La finesse le perdait le plus souvent, il était trop perspicace, il rusait trop avec la vérité simple et bonne, d’après un idéal de métier, s’étant fait de sa fonction un type d’anatomiste moral, doué de seconde vue, extrêmement spirituel. D’ailleurs, il n’était pas non plus un sot.

Tout de suite, il se montra aimable pour madame de Lachesnaye, car il y avait encore en lui un magistrat mondain, fréquentant la société de Rouen et des environs.

— Madame, veuillez vous asseoir.

Et il avança lui-même un siège à la jeune femme, une blonde chétive, l’air désagréable et laide, dans ses vêtements de deuil. Mais il fut simplement poli, de mine un peu rogue même, pour M. de Lachesnaye, blond lui aussi et malingre ; car ce petit homme, conseiller à la cour dès l’âge de trente-six ans, décoré, grâce à l’influence de son beau-père et aux services que son père, également magis-