Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/110

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trat, avait rendus autrefois dans les commissions mixtes, représentait à ses yeux la magistrature de faveur, la magistrature riche, les médiocres qui s’installaient, certains d’un chemin rapide par leur parenté et leur fortune ; tandis que lui, pauvre, sans protection, se trouvait réduit à tendre l’éternelle échine du solliciteur, sous la pierre sans cesse retombante de l’avancement. Aussi n’était-il pas fâché de lui faire sentir, dans ce cabinet, sa toute-puissance, l’absolu pouvoir qu’il avait sur la liberté de tous, au point de changer d’un mot un témoin en prévenu, et de procéder à son arrestation immédiate, si la fantaisie l’en prenait.

— Madame, continua-t-il, vous me pardonnerez d’avoir encore à vous torturer avec cette douloureuse histoire. Je sais que vous souhaitez aussi vivement que nous de voir la clarté se faire et le coupable expier son crime.

D’un signe, il prévint le greffier, un grand garçon jaune, à la figure osseuse, et l’interrogatoire commença.

Mais, dès les premières questions posées à sa femme, M. de Lachesnaye, qui s’était assis, voyant qu’on ne l’en priait pas, s’efforça de se substituer à elle. Il en vint à exhaler toute son amertume contre le testament de son beau-père. Comprenait-on cela ? des legs si nombreux, si importants, qu’ils atteignaient presque la moitié de la fortune, une fortune de trois millions sept cent mille francs ! Et à des personnes qu’on ne connaissait pas pour la plupart, à des femmes de toutes les classes ! Il y avait jusqu’à une petite marchande de violettes, installée sous une porte de la rue du Rocher. C’était inacceptable, il attendait que l’instruction criminelle fût finie, pour voir s’il n’y aurait pas moyen de faire casser ce testament immoral.

Pendant qu’il se désolait ainsi, les dents serrées, montrant le sot qu’il était, le provincial à passions têtues, enfoncé dans l’avarice, M. Denizet le regardait de ses gros