Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/111

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yeux clairs, à demi cachés, et sa bouche fine exprimait un dédain jaloux, pour cet impuissant que deux millions ne satisfaisaient pas, et qu’il verrait sans doute un jour sous la pourpre suprême, grâce à tout cet argent.

— Je crois, monsieur, que vous auriez tort, dit-il enfin. Le testament ne pourrait être attaqué que si le total des legs dépassait la moitié de la fortune, et ce n’est pas le cas.

Puis, se tournant vers son greffier :

— Dites donc, Laurent, vous n’écrivez pas tout ceci, je pense.

D’un faible sourire, celui-ci le rassura, en homme qui savait comprendre.

— Mais, enfin, reprit M. de Lachesnaye plus aigrement, on ne s’imagine pas, j’espère, que je vais laisser la Croix-de-Maufras à ces Roubaud. Un cadeau pareil à la fille d’un domestique ! Et pourquoi, à quel titre ? Puis, s’il est prouvé qu’ils ont trempé dans le crime…

M. Denizet revint à l’affaire.

— Vraiment, le croyez-vous ?

— Dame ! s’ils avaient connaissance du testament, leur intérêt à la mort de notre pauvre père est démontré… Remarquez, en outre, qu’ils ont été les derniers à causer avec lui… Enfin, tout cela semble bien louche.

Impatienté, dérangé dans sa nouvelle hypothèse, le juge se tourna vers Berthe.

— Et vous madame, pensez-vous votre ancienne amie capable d’un tel crime ?

Avant de répondre, elle regarda son mari. En quelques mois de ménage, leur mauvaise grâce, leur sécheresse à tous deux s’étaient communiquées et exagérées. Ils se gâtaient ensemble, c’était lui qui l’avait jetée sur Séverine, au point que, pour ravoir la maison, elle l’aurait fait arrêter sur l’heure.

— Mon Dieu ! monsieur, finit-elle par dire, la per-