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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/117

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de votre frère… Des bruits couraient, n’est-ce pas ? on lui donnait des maîtresses.

Madame Bonnehon s’était remise à sourire, avec son infinie tolérance.

— Oh ! cher monsieur, à son âge !… Mon frère a été veuf de bonne heure, je ne me suis jamais cru le droit de trouver mauvais ce que lui-même trouvait bon. Il a donc vécu à sa guise, sans que je me mêle en rien de son existence. Ce que je sais, c’est qu’il gardait son rang, et qu’il est resté jusqu’au bout un homme du meilleur monde.

Berthe, suffoquée que, devant elle, on parlât des maîtresses de son père, avait baissé les yeux ; pendant que son mari, aussi gêné qu’elle, était allé se planter devant la fenêtre, tournant le dos.

— Pardonnez-moi, si j’insiste, dit M. Denizet. N’y a-t-il pas eu une histoire, avec une jeune femme de chambre, chez vous ?

— Ah ! oui, Louisette… Mais, cher monsieur, c’était une petite vicieuse qui, à quatorze ans, avait des rapports avec un repris de justice. On a voulu exploiter sa mort contre mon frère. C’est une indignité, je vais vous raconter ça.

Sans doute elle était de bonne foi. Bien qu’elle sût à quoi s’en tenir sur les mœurs du président, et que sa mort tragique ne l’eût pas surprise, elle sentait le besoin de défendre la haute situation de la famille. D’ailleurs, dans cette malheureuse histoire de Louisette, si elle le croyait très capable d’avoir voulu la petite, elle était convaincue également de la débauche précoce de celle-ci.

— Imaginez-vous une gamine, oh ! si petite, si délicate, blonde et rose comme un petit ange, et douce avec ça, d’une douceur de sainte-n’y-touche à lui donner le bon Dieu sans confession… Eh bien ! elle n’avait pas quatorze ans qu’elle était la bonne amie d’une sorte de brute, un