Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/130

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— Je vais vous le dire, moi, ce que vous avez fait, le 14 février au soir… À trois heures, vous avez pris, à Barentin, le train pour Rouen, dans un but que l’instruction n’a pu encore établir. Vous deviez revenir par le train de Paris qui s’arrête à Rouen à neuf heures trois ; et vous étiez sur le quai, au milieu de la foule, lorsque vous avez aperçu monsieur Grandmorin, dans son coupé. Remarquez que j’admets très bien qu’il n’y a pas eu guet-apens, que l’idée du crime vous est venue seulement alors… Vous êtes monté grâce à la bousculade, vous avez attendu d’être sous le tunnel de Malaunay ; mais vous avez mal calculé le temps, car le train sortait du tunnel, lorsque vous avez fait le coup… Et vous avez jeté le cadavre, et vous êtes descendu à Barentin, après vous être débarrassé aussi de la couverture de voyage… Voilà ce que vous avez fait.

Il épiait les moindres ondes sur la face rose de Cabuche, et il s’irrita, lorsque celui-ci, très attentif d’abord, finit par éclater d’un bon rire.

— Qu’est-ce que vous racontez là ?… Si j’avais fait le coup, je le dirais.

Puis, tranquillement :

— Je ne l’ai pas fait, mais j’aurais dû le faire. Nom de Dieu ! oui, je le regrette.

Et M. Denizet ne put en tirer autre chose. Vainement, il reprit ses questions, revint dix fois sur les mêmes points, par des tactiques différentes. Non ! toujours non ! ce n’était pas lui. Il haussait les épaules, trouvait ça bête. En l’arrêtant, on avait fouillé la masure, sans découvrir ni l’arme, ni les dix billets de banque, ni la montre ; mais on avait saisi un pantalon taché de quelques gouttelettes de sang, preuve accablante. De nouveau, il s’était mis à rire : encore une belle histoire, un lapin, pris au collet, qui lui avait saigné sur les jambes ! Et, dans son idée fixe du crime, c’était le juge qui perdait pied, par